L’Église ne doit pas tarder à mettre en œuvre cette réforme. Car c’est le bien des personnes qui est en jeu. Des millions et des millions de catholiques souffrent parce que les femmes se voient refuser le plein accès au service du ministère presbytéral.
John Wijngaards
En refusant l’ordination aux femmes, l’Église rabaisse les femmes
Les autorités ecclésiastiques ne cessent de répéter que l’exclusion des femmes de l’ordination n’est pas une question d’égalité. Les femmes et les hommes sont égaux aux yeux de Dieu et de l’Église, affirment ces autorités. Mais dans la réalité ce n’est pas le cas. Le leadership dans l’Église est exercé par les prêtres, les évêques, les cardinaux, le pape. Le fait d’exclure les femmes de ces postes de direction envoie un message puissant d’inégalité de fait. De plus, nous parlons ici de leadership spirituel. Les femmes catholiques ne peuvent que se sentir reléguées au second rang.
En réponse à Ordinatio Sacerdotalis du pape Jean-Paul II, quatorze religieuses indiennes compétentes en théologie ont écrit au pape :
Il y a certaines déclarations dans votre lettre qui sont extrêmement pénibles à lire pour nous. Le paragraphe 1, alinéa 2, dit : « L’autorité enseignante de l’Église a constamment soutenu que l’exclusion des femmes de la prêtrise est en accord avec le plan de Dieu pour l’Église ». L’expression « exclusion des femmes » semble nier notre appartenance même à l’Église. Nous sommes membres à part entière de l’Église grâce aux sacrements d’initiation chrétienne, à savoir le baptême, la confirmation et l’eucharistie. Alors pourquoi devrions-nous, en tant que groupe social, être empêchées d’exercer certaines fonctions dans l’Église? Cher Père, qui décide de ce qui est le plan de Dieu pour l’Église? N’est-ce pas le peuple de Dieu? En tant que père de cette famille de fidèles, nous excluez-vous du peuple de Dieu, même dans la recherche commune de la volonté de Dieu pour l’Église aujourd’hui?1
L’inégalité de fait des femmes dans l’Église catholique entrave également le travail vital d’émancipation sociale. Vingt-sept travailleurs humanitaires chrétiens en Malaisie ont livré ce témoignage :
Nous vivons dans une culture où les bébés garçons sont préférés aux bébés filles; les garçons sont privilégiés dans l’éducation; les filles sont brutalement violées et assassinées; les femmes sont maltraitées dans la famille; les femmes sont forcées de se prostituer pour subvenir aux besoins de la famille; les femmes sont rarement consultées ou impliquées dans la prise de décision… Nous avons désespérément besoin d’un changement de mentalité des hommes et des femmes pour parvenir à une société juste. Tout comme l’Église catholique est reconnue pour son leadership sur les questions de justice et de solidarité avec les pauvres, elle est dans une position similaire de leadership et d’influence pour l’éradication de l’oppression des femmes. L’Église catholique serait à nouveau en mesure d’assumer une telle position de leadership avec l’ordination des femmes à la prêtrise. Lorsque les femmes seront admises à la prêtrise dans l’Église catholique, son enseignement selon lequel les femmes et les hommes sont tous deux créés égaux à l’image de Dieu sera crédible.2
L’Église prive les gens des charismes spirituels des femmes
Plus que tout, en interdisant aux femmes d’accéder à la prêtrise, l’Église prive des millions de catholiques de l’accès aux sacrements. Les vocations diminuent en Occident. Les prêtres sont contraints de continuer à exercer leur ministère bien au-delà de l’âge de la retraite, ce qui nuit considérablement à la qualité de leur service. Les paroisses sont fermées et regroupées, ce qui rend difficile la fréquentation des églises, notamment dans les zones rurales. Cela augmente le nombre important de catholiques qui sont de plus en plus isolés.
Avec leurs charismes et leurs compétences sociales, les femmes amélioreraient également de manière significative la pastorale de l’Église. En effet, les bévues colossales commises ces dernières décennies par la hiérarchie catholique ⎼ l’interdiction de la contraception artificielle, le scandale des abus sur les enfants, le rejet des relations homosexuelles ⎼ ne sont-elles pas le produit d’une institution patriarcale au cœur dur? Si les prêtres et les évêques avaient été mariés et si les femmes avaient pu avoir accès au ministère, l’approche pastorale aurait peut-être été plus intelligente et bienveillante.
Les jeunes filles ont du mal à confier leurs problèmes à des hommes adultes. Comme l’exprime Gertrud Heinzelmann :
Déjà lorsque j’ai dû faire ma première confession, j’ai ressenti un profond désir de parler à une femme prêtre. Je savais que je me serais révélée beaucoup plus facilement à une femme qu’à un homme, car un homme ne comprend pas les craintes et les inquiétudes d’une petite fille… La femme que je cherchais dans mon besoin spirituel n’existait pas3
Les femmes prêtres seraient souvent en mesure d’atteindre les gens là où les hommes ne le peuvent pas. Dans les régions musulmanes, par exemple, comme au Pakistan, en Indonésie et aux Philippines, seules les femmes peuvent entrer dans les quartiers des femmes. Une religieuse qui travaille comme aumônière à temps complet dans un grand hôpital néerlandais m’a raconté que certains patients dont elle s’occupait mouraient sans avoir pu se confesser ou recevoir les derniers sacrements parce qu’aucun prêtre masculin ne pouvait être rejoint à temps. Si elle avait été ordonnée, elle aurait pu assurer ce service. Le bien-être spirituel de chaque personne ne devrait-il pas être une priorité absolue pour l’Église?
Une religieuse d’Afrique, qui s’occupe d’une communauté isolée, partage son angoisse :
Je ressens de plus en plus, et avec toujours plus de peine, le fait de ne pas pouvoir répondre pleinement à tous les besoins des gens dans leur recherche de Dieu. Je pense à ces personnes qui n’ont pas vu de prêtre depuis de nombreuses années, à celles qui, au cours d’un entretien confidentiel, confessent spontanément leurs péchés. J’aimerais tellement pouvoir leur donner le signe sacramentel du pardon, là, tout de suite! Et le dimanche, plutôt que de distribuer la communion, j’aimerais répondre pleinement à leur besoin spirituel en renouvelant le geste eucharistique du Christ, mémorial vivant de son amour et de son sacrifice.4
Enfin et surtout, l’ordination des femmes est ce que le Christ veut aujourd’hui
Au cours des siècles précédents, les préjugés culturels à l’encontre des femmes étaient si forts qu’il était difficile pour les femmes d’accéder à des postes de direction, notamment spirituelle. Mais aujourd’hui, tout cela a changé. Que veut le Christ que l’Église fasse dans les nouvelles circonstances d’aujourd’hui?
Comment pouvons-nous connaître la pensée du Christ?
L’Évangile de saint Jean contient des recueils d’enseignements de Jésus que l’auteur a rassemblés dans les sermons de Jésus lors de la dernière Cène. Ces sermons réfléchissent à la vie chrétienne dans les périodes à venir, à la manière dont le Christ restera présent pour nous. Le thème dominant est l’amour de Dieu, comment il imprègnera nos vies et comment il devrait dominer nos relations. Bien que Jésus ne soit plus là, il continuera, en tant que Christ, à nous guider par son Esprit.
Je demanderai au Père
et il vous enverra quelqu’un d’autre comme Défenseur,
pour qu’il soit avec vous pour toujours,
cet Esprit de Vérité que le monde ne peut accueillir,
car il ne le voit pas et ne le connaît pas;
mais vous, vous le connaissez,
parce qu’il reste avec vous et il est en vous.5
L’Esprit du Christ en nous sera un parakletos, un conseiller. La signification de ce terme a été expliquée de bien des manières par les Pères de l’Église de même que par les théologiens et les théologiennes. Le plus probable est qu’il désigne l’Esprit du Christ comme un enseignant, un interprète.6 « Dans les années à venir, dit le Christ, je resterai avec vous par mon Esprit en vous. L’Esprit rendra tout clair. »
C’est ce que confirment les versets suivants :
Je vous ai dit ces choses
pendant que j’étais encore avec vous.
Mais le Défenseur,
l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom,
vous enseignera tout et vous fera ressouvenir
de tout ce que je vous ai dit.7
J’ai encore beaucoup de choses à vous dire,
mais ce serait trop pour vous maintenant.
Quand l’Esprit de Vérité viendra,
il vous conduira à la vérité toute entière,
car il ne parlera pas en son nom,
mais il dira seulement ce qu’il aura appris [de moi];
il vous communiquera ce qui doit venir.8
Selon l’Évangile de Jean, l’Esprit du Christ dans nos cœurs agit donc comme un conseiller et un interprète qui aide à comprendre ce que Jésus aurait voulu dans les nouvelles circonstances de l’avenir. Il s’agit là d’un élément crucial que l’évangéliste du quatrième évangile souligne.
De son vivant, Jésus ne pouvait pas rendre justice à tous les développements qui allaient se produire dans l’avenir. Il y avait des exigences et des défis qui ne pouvaient être ni prévus ni compris par les premiers disciples. Mais, parce que les chrétiens portent l’Esprit du Christ dans leur cœur, ils sauront quoi faire. L’Esprit qui est en eux leur révélera ce que le Christ attend d’eux dans cette nouvelle situation.
Ainsi, en ce qui concerne les femmes et la prêtrise, nous devons nous poser la question suivante : que révèle l’Esprit du Christ à ce sujet? L’Esprit du Christ, tel qu’il s’exprime dans le cœur des croyants, des croyantes et de la communauté chrétienne, confirme-t-il que l’ordination de femmes comme prêtres serait exactement ce que le Christ veut pour notre époque?
Écoutons donc l’Esprit. Des recherches menées dans le monde entier ont montré que la grande majorité des catholiques instruits(e)s du monde entier croient que les femmes peuvent et doivent être ordonnées. C’est l’Esprit qui parle dans leur cœur et leur esprit. Ils savent que c’est ce que le Christ veut pour notre époque ⎼ et cela ne contredit pas ce que nous savons du Christ d’après les Évangiles.
Oui, Jésus a choisi douze hommes comme apôtres pour être les douze patriarches du nouvel Israël. Mais ce faisant, il n’a jamais eu l’intention d’exclure à jamais les femmes. Les véritables intentions de Jésus ressortent de son respect pour les femmes. En accueillant les femmes par le même baptême que les hommes, il a ouvert la porte à leur entrée dans sa prêtrise renouvelée. En instituant l’eucharistie, il a également dit aux femmes : « Faites ceci en mémoire de moi! » Les chrétiens et les chrétiennes à travers les siècles ont compris la pensée du Christ en considérant Marie de Magdala comme « l’apôtre des apôtres » et en vénérant Marie, la mère de Jésus, comme participant à sa prêtrise. L’Église a jadis admis les femmes au sacrement des ordres sacrés en les ordonnant, autant que les hommes, au diaconat.
L’Église doit maintenant écouter l’Esprit qui interpelle à travers les gens. Car c’est par cet Esprit que le Christ révèle sa pensée. « Mon peuple a besoin du ministère des femmes », dit le Christ. « Je veux que les femmes aussi soient prêtres. Je le veux maintenant, sans autres excuses ni délais. »
Londres, le 8 avril 2022
NOTES
1 Margaret SHANTI et al. (14 religieuses indiennes de 10 communautés) . « Open letter to John Paul II » [Lettre ouverte à Jean-Paul II], 31 0ctobre 1994, Women can be priests, [en ligne]. Pour la version intégrale : [http://www.womencanbepriests.org/teaching/indiarel.asp (consulté le 8 avril 2022)
2 Les 22 catholiques et 5 protestant(e)s signataires de cette lettre étaient membres de Malaysian Women in Ministry and Theology [MWMT], du Asian Women’s Resource Centre for Culture and Theology [AWRC], de Empowerment, de All Women’s Action Society [AWAM] et de Basic Ecclesial Communities [BEC]. We need you [Nous avons besoin de vous], Women can be priests, [en ligne],18 août 2002. Pour la version intégrale : [www.womencanbepriests.org/care/malay.asp] (consulté le 8 avril 2022).
3 Gertrud HEINZELMANN, Die geheiligte Diskriminierung. Beitrage zum kirchlichen Feminismus. [La discrimination sacrée. Contribution au féminisme ecclésiastique] Bonstetten (Suisse) ,Interfeminas Verlag, 1996.
4 Soeur VALLIN, « Dans les Églises, des femmes aussi sont ministres », Actes du Séminaire, Femmes et Hommes en Église (1996), Paris, 82-85.
5 Jean 14, 16-17. Dans le grec original, l’Esprit est neutre (pneuma). En français, le neutre n’existe pas, d’où l’utilisation du « il ».
6 Heinrich SCHLIER, « The Holy Spirit as interpreter according to St. John’s Gospel » [Le Saint-Esprit comme interprète selon l’Évangile de saint Jean], Communio 1 (1974), 128-141; George Johnston, « The Spirit-Paraclete in the Gospel of John » [L’Esprit-Paraclet dans l’Évangile de Jean), Perspective 9 (1968), 29-37; Hugh Frederic Woodhouse, The Interpret » [L’interprète], Biblical Theology 18 (1968), 51-53; John Wijngaards, The Spirit in John [L’Esprit chez Jean], Wilmington Michael Glazier, 1988, 49-78.
7 Jean 14, 25-26.
8 Jean 16, 12-14.